La seconde partie des années 80 est une période charnière pour Nintendo, désormais cette hydre à deux têtes partagée entre la maison-mère à Kyoto et le monde occidental, en particulier la filiale américaine. Mais la séparation s’effectue aussi au niveau des plates-formes, entre la NES/Famicom et son Disk System au Japon et le monde de l’arcade qui constitue le marché d’origine. Et tel le plombier s’engouffrant dans de multiples tuyaux et warp zones, Super Mario Bros. 2 symbolise à lui seul cette série d’embranchements : il désigne en effet tout autant une version revue et corrigée du premier épisode qu’un jeu totalement inédit, qui constitue à bien des égards un épisode hors-série.
Super Mario Bros. est sorti le 13 septembre 1985 et comme nous l’avons vu dans l’article qui lui est dédié, l’équipe ne s’est autorisée que trois heures de répit pour fêter la fin du projet avant de passer au gigantesque chantier suivant, The Legend of Zelda. Les premières aventures de Link avaient d’ailleurs été ébauchées dans le même élan euphorique et le « triangle d’or », comme Satoru Iwata l’a baptisé, rempile pour un gigantesque marathon dont la ligne d’arrivée sera franchie le 21 février 1986. Si Super Mario Bros. était prévu comme l’une des dernières cartouches de la Famicom, The Legend of Zelda est la première disquette du Famicom Disk System – Nintendo compte bien capitaliser sur les plus grandes possibilités techniques de cette plate-forme mais l’histoire nous l’apprendra par la suite : elle ne franchira jamais les eaux du Japon. À ce titre, il faut bien l’alimenter en nouveaux jeux, d’autant plus que les éditeurs-tiers sont parfois échaudés par cette plate-forme et ses conditions contractuelles (voir notre article consacré à Castlevania à ce sujet). Le 21 février 1986, Super Mario Bros. se voit donc adapté sur Famicom Disk System, qui accompagne même son lancement. Cette version disquette est rigoureusement identique à celle sur cartouche, mis à part le fameux « Minus World » qui correspond à un bug du monde 1-2 donnant accès au « monde -1 ». Sur NES/Famicom, le niveau est infini – ici, il conduit à une variété de levels successifs puisant dans toute la bibliothèque des sprites. Le jeu étant réparti sur les deux faces de la disquette, il n’y a pas non plus les mêmes warp zones, puisqu’elles conduiraient à des zones ne figurant pas parmi les mêmes données.
Retenez donc que Nintendo, fier de sa création, compte bien la décliner sous de multiples formes avant de passer à la suite, avec parfois quelques différences. La même année que l’édition sur Famicom Disk System, on retrouve donc une version Game & Watch Crystal Screen (25 juin 1986, pour le coup inédite au Japon) ainsi qu’une adaptation sur borne d’arcade, Vs. Super Mario Bros., conçue pour défier tous les experts du jeu d’origine. L’histoire est la même mais le jeu est donc sensiblement plus difficile : les niveaux présentent davantage d’ennemis, il n’y a presque plus de vies supplémentaires et on ne retrouve pas de warp zones vers les mondes 7 et 8. Dans Super Mario Bros., certains niveaux sont des « remakes » simplifiés de levels ultérieurs – c’est notamment le cas du niveau 1-3 qui est une version plus simple du 5-3, du 1-4 qui simplifie le 6-4, des 2-2/2-3 qui correspondent aux 7-2/7-3 et du 2-4 qui s’apparente au 5-4. La version arcade ne s’autorise pas une telle facilité et présente d’emblée les versions les plus difficiles de ces niveaux, ce qui libère de la place pour six levels inédits encore plus corsés. Parmi les autres déclinaisons du premier épisode de Super Mario Bros., on peut également citer All Night Nippon Super Mario Bros., sorti en décembre 1986 sur Famicom Disk System et conçu comme une version promotionnelle aux couleurs d’une célèbre émission radio au Japon. Les niveaux se déroulent la nuit et certains ennemis sont remplacés par des animateurs de la station ou des DJ. Il existe enfin Super Mario Bros. Special, développé par Hudson Soft pour les ordinateurs NEC PC-8801 et Sharp X1 en 1986. Il réinterprète certains level designs et le jeu comprend de nouveaux ennemis, issus de Mario Bros. et Donkey Kong. Pour être exhaustif, on pourrait aussi citer la cartouche Super Mario Bros. / Duck Hunt, sortie aux États-Unis et en Europe, qui comprend les deux jeux et qui est vendue avec la console et le NES Zapper.
Les niveaux perdus de Mario
Face à un tel florilège de versions, Nintendo n’a donc que l’embarras du choix pour composer un vrai second épisode officiel. Puisque les autres éditions, comme nous l’avons vu, évoluent sur des plates-formes distinctes ou font l’objet d’éditions promotionnelles, il n’y a pas vraiment de nouveau Mario depuis septembre 1985 sur NES/Famicom. Or, Shigeru Miyamoto est tout entier occupé à la conception de The Legend of Zelda et compte bien enchaîner sur sa suite directe, qui sortira le 14 janvier 1987. Il faut que Nintendo remette le couvert, d’autant plus qu’un tel titre pourrait bien renforcer les ventes du Famicom Disk System : The Legend of Zelda et Super Mario Bros. accompagnent tous deux le lancement de la plate-forme, le 21 février 1986, mais seul le premier est une franche nouveauté et on ne s’attend pas à voir débouler le second opus de sitôt. C’est finalement Takashi Tezuka qui va prendre du galon et s’affirmer comme le véritable artisan de ce nouvel épisode de Mario, ayant déjà plus qu’officié aux côtés de Miyamoto et goûté à sa magie unique.
Au Japon, Super Mario Bros. 2 sort le 3 juin 1986, soit un peu plus de trois mois après Zelda. William Audureau, l’auteur de L’histoire de Mario, rappelle les propos de Miyamoto concernant son développement : « J’étais le directeur sur les deux projets, et j’ai vraiment cru que j’aillais mourir, se rappelle-t-il, jeune papa depuis moins d’un an. (…) Finalement la direction m’a dit : « Choisis-en juste un et fais-le », donc je me suis retrouvé à emballer le Mario en trois mois, puis à enchaîner sur le Zelda juste après. (…) Takashi Tezuka a dirigé le projet et j’ai contribué à hauteur de dix pour cent. » Emballer, le terme n’est pas impropre. Pour composer cette suite directe, il est notamment possible de piocher parmi les six niveaux inédits conçus pour Vs. Super Mario Bros.. À la manière de cette version arcade, Nintendo part du principe que l’on a forcément déjà joué au premier épisode et l’accent est mis sur la difficulté même si le moteur et les challenges restent globalement les mêmes. On retrouve ainsi des champignons empoisonnés, qui vous font rétrécir, des plantes carnivores rouges qui surgissent même si l’on se tient sur le tuyau qui les héberge, des pieuvres (les Bloups) qui flottent désormais dans les airs comme sous l’eau et des clones de Bowser qui officient en tant que boss de mi-niveau.
Mais cela ne suffit pas pour justifier un plein épisode et il faut tout de même inventer quelques mécanismes nouveaux. Tezuka l’affirmait lors du développement de Super Mario Bros., « c’était très amusant. Je venais juste d’être embauché et, plutôt que de suivre bêtement les spécifications, je demandais quelles étaient les limites et je m’amusais à créer à l’intérieur de ce cadre. » Il compose alors avec ce qu’il est désormais possible et, affranchi de l’aval systématique de Miyamoto, il ose quelques innovations. Mario doit notamment faire face à des brises soudaines qui le projettent dans l’écran, certains ressorts ont un effet si prononcé qu’ils le balancent au-delà de l’aire de jeu, au point de faire perdre une vie, et des warp zones vous renvoient à un niveau précédent. Autre nouveauté : Mario et Luigi ont des caractéristiques propres, ce dernier étant désormais capable de sauter plus haut au prix d’une distance de freinage plus importante. Du point de vue du level design, Super Mario Bros. 2 part du principe qu’il s’adresse à des joueurs ayant déjà écumé les moindres recoins de l’épisode précédent – dès le départ, il faut donc faire preuve d’une adresse extrême et les sauts ou les ennemis sont particulièrement retors. Signe de la continuité entre les deux épisodes, le premier niveau démarre d’ailleurs directement avec le château de Bowser à sa gauche.
Aujourd’hui, Super Mario Bros. 2 aurait peut-être été rebadgé en tant que DLC du premier épisode. Mais à l’époque, le charme opère d’autant plus qu’il offre aux joueurs chevronnés un nouveau défi à la mesure de leur expertise ainsi qu’une disquette de renom pour le Famicom Disk System. Le guide d’aide de jeu de Super Mario Bros. figurait parmi les meilleures ventes de livres au Japon, en 1986, et il n’est donc pas étonnant que Nintendo ait pensé à ces joueurs en priorité, qui avaient investi de l’énergie et du temps à maîtriser les mécanismes introduits par Miyamoto et son équipe. Par ailleurs, ce développement ultra-rapide, qui pioche dans les multiples déclinaisons déjà établies et les éléments rejetés pour la première version, se justifie par le planning très chargé de R&D4 qui travaille à pied d’œuvre pour populariser sa série Zelda. Au Japon, il s’écoulera 2,5 millions d’exemplaires de Super Mario Bros. 2. Les États-Unis et l’Europe devront attendre 1993 et la parution de Super Mario All-Stars sur Super Nintendo pour découvrir cet épisode sous le titre Super Mario Bros.: The Lost Levels, un sous-titre qui rappelle à quel point cet opus est largement considéré comme une version 1.5 avec ses « niveaux supplémentaires ».
Le krach du jeu vidéo de 1983
Mais alors au juste, à quoi correspond le Super Mario Bros. 2 tel qu’on l’a connu en Europe et aux États-Unis ? Pour étudier son développement, il faut se pencher sur un événement majeur qui a principalement touché le pays de l’oncle Sam : le krach du jeu vidéo de 1983. Nous sommes déjà largement revenus sur le contexte des années 1970 – alors que Pong d’Atari puis Pac-Man ou Space Invaders connaissent un succès retentissant et que les bornes d’arcade ont le vent en poupe, d’innombrables éditeurs se jettent dans la brèche. On assiste à l’éclosion de centaines de clones, souvent vendus sur des machines spécifiques, qui inondent le marché. Aux États-Unis, la vente des jouets et des jeux vidéo obéit au principe du consignement : lorsqu’un titre se vend mal, il est réexpédié à son éditeur qui doit le racheter ou proposer un nouveau jeu. Mais face à la saturation du marché, de nombreuses sociétés sont incapables de rembourser ou de remplacer les titres par une autre proposition. En 1983, le prix des jeux chute et on retrouve d’innombrables titres dans les bacs aux soldes des revendeurs. En parallèle, la micro-informatique progresse et constitue une alternative plus séduisante et polyvalente.
De très nombreux éditeurs font donc faillite et le jeu vidéo est progressivement perçu aux États-Unis comme une lubie passagère. En conséquence, le Japon devient à la même époque le premier marché mondial des consoles de salon – l’histoire est connue, Atari va même jusqu’à enterrer en septembre 1983 des centaines voire des milliers de cartouches de jeux invendus ou jugés trop médiocres dans une décharge située à Alamogordo au Nouveau-Mexique. L’idée est notamment d’alléger les stocks afin de bénéficier de facilités fiscales. Des excavations auront finalement lieu le 26 avril 2014 et mettront à jour des pépites du genre, largement décrites dans le passionnant documentaire Atari: Game Over réalisé par Zak Penn. Il faudra précisément attendre l’éclosion de la NES aux États-Unis, en particulier avec l’immense succès de Super Mario Bros., pour que la situation se stabilise à nouveau. Conséquence indirecte de ce krach : Nintendo se méfie des copies comme de la peste et instaure les fameuses puces d’authentification 10NES dans ses cartouches et dans la console elle-même (la puce de la console s’assure de l’authenticité de la cartouche insérée), met en place la régionalisation des jeux pour éviter l’import et impose des accords de licence aux éditeurs afin de bénéficier du « sceau de qualité » de la marque.
Cette arrivée sur le marché américain, Hiroshi Yamauchi l’a préparée minutieusement en dépêchant lui-même son propre gendre, Minoru Arakawa, sur les terres d’Abraham Lincoln afin d’implanter ses bornes d’arcade. Nous sommes largement revenus sur la fondation de Nintendo of America dans notre article consacré à Donkey Kong, mais parmi la jeune équipe un individu se distingue tout particulièrement, Howard Phillips, celui que le juge dans le procès face à Universal Studios qualifiera de « très talentueux » lorsqu’il se livrera à la démonstration d’une partie. Alors qu’il a à peine vingt ans, il s’occupe de décharger les bornes de Radar Scope dans l’entrepôt de Seattle et c’est lui le premier qui restera scotché face à l’épisode inaugural du gorille conçu par Shigeru Miyamoto censé juguler la crise. Une fois le succès de la NES établi outre-Atlantique, il occupera une position centrale au sein de Nintendo of America en prenant en charge les tests qualité et la décision d’importer ou non les jeux de la maison-mère. Il incarnera également l’un des visages de Nintendo aux USA, le « Game Master » du magazine officiel Nintendo Fun Club News puis de Nintendo Power. « Les jeux vidéo commençaient à peine aux États-Unis, on les considérait encore comme un jouet et peu de gens y étaient habitués. Ils voyaient des pubs pour Nintendo, mais on a décidé de les personnaliser pour leur expliquer à quel point les jeux vidéo étaient drôles et amusants. C’était un aspect de mon travail. On m’a demandé de jouer à tous les jeux, de trouver des idées et de les présenter à M. Arakawa et à M. Niromoto, notre intermédiaire au Japon, » indique-t-il dans une interview de 2009 au magazine Vice. « M. Arakawa me disait, « Joue à ce jeu et dis-moi ce que tu en penses », c’était parfois difficile de prendre des décisions, » poursuit-il.
Et pourtant, derrière son fameux nœud papillon, c’est bien lui qui prit la délicate décision d’éconduire Super Mario Bros. 2 du marché américain. Il jugeait le jeu bien trop difficile pour la plupart des joueurs, qui n’avaient d’ailleurs pas tous fini le premier épisode et qui plaçaient en Howard toute leur confiance. William Audureau rapporte ses propos : « La difficulté n’est plus seulement source de motivation, mais de frustration, estime Howard Phillips. À l’époque, je ne savais pas exactement si Miyamoto avait lui-même demandé ces changements ou non, et cela me fit m’interroger si sa réussite n’avait pas commencé à tourner […] C’était tout, sauf du Miyamoto classique, dans la mesure où le joueur n’avait plus la maîtrise. […] Peut-être qu’il était déprimé à l’époque où il faisait Mario 2 ou peut-être qu’il a délégué à quelqu’un d’autre le soin de concevoir« , commente-t-il. Il avait vu juste et l’histoire lui a donné raison : la console était encore jeune sur le marché américain et les jeux vidéo, au sens large, n’avaient pas besoin de se cloîtrer dans l’image d’une discipline réservée aux experts. Il fallait donc trouver une alternative.
De Doki Doki Panic à Super Mario USA
Parmi les multiples déclinaisons de Super Mario Bros., nous avons évoqué le statut particulier d’All Night Nippon Super Mario Bros. développé spécifiquement pour le marché japonais et mettant en scène une célèbre émission radio. Celle-ci est produite par Fuji Media Holdings, l’un des plus grands groupes de médias au Japon. En avril 1986, sa chaîne de télévision emblématique Fuji TV change d’habillage et entend bien populariser sa nouvelle image, en organisant notamment une série d’événements à l’extérieur, les Yume Kōjō (littéralement, « usine à rêves »). Du 18 juillet au 30 août 1987, l’un des plus grands événements de ce genre est organisé dans une ambiance de carnaval, avec des enfants déguisés, des bornes d’arcade à gogo et tout type de festivités retransmises à la télévision. Les mascottes sont sans cesse matraquées sur le petit écran, en particulier Imajin, un jeune Perse sur son tapis volant, sa sœur Lina et leurs deux parents, dans une ambiance arabisante.
Désireux de prolonger la portée de l’événement, Fuji TV se rapproche de Nintendo dont la console trône déjà dans un foyer japonais sur quatre et lui commande directement un jeu inspiré de cet univers. Le projet est plus ambitieux que pour l’émission de radio, où il ne s’agissait en réalité que de changements cosmétiques plus ou moins loufoques et Fuji TV pense à un véritable jeu de plates-formes inédit et complet. Shigeru Miyamoto en devient naturellement le producteur et voit la commande comme une occasion inespérée d’explorer de nouveaux mécanismes de jeu alors qu’il est lui-même en train d’œuvrer au développement de Super Mario Bros. 3. Sans prendre le projet à la légère pour autant, il sait que c’est une situation idéale pour en réaliser le prototype sans pression excessive et sans dénaturer son plombier moustachu. À ce titre, c’est aussi l’occasion parfaite de tester en interne deux recrues prometteuses, Kensuke Tanabe et Hideki Konno.
Né le 26 juin 1963 à Ikeda, Kensuke Tanabe est diplômé en arts graphiques de l’Université d’Osaka, comme Takashi Tezuka ou Yoshio Sakamoto (Metroid, Kid Icarus…) et il entre chez Nintendo en avril 1986, soit deux mois après la publication de The Legend of Zelda et deux mois avant celle de Super Mario Bros. 2. Il n’a donc que 22 ans et à l’image de Tezuka il fourmille d’idées et semble avide d’exprimer sa créativité aux côtés de « maîtres » désormais incontestés du domaine. Au début du projet, Shigeru Miyamoto ne dispose que d’un mini-prototype dans lequel on favorise un déplacement vertical du joueur, et non horizontal. « L’idée était d’encourager les joueurs à grimper verticalement, avec des objets et des blocs que vous pouviez empiler pour aller plus haut encore, ou vous pouviez empoigner l’ami avec lequel vous jouez pour essayer de continuer l’ascension, » explique Tanabe à Wired en avril 2011. « Mais ce scrolling vertical n’était pas suffisant pour constituer un gameplay intéressant, » poursuit-il.
Les réunions se multiplient entre Tanabe et Miyamoto pour aboutir à une vision plus complète de ce prototype. « Nous avons ensuite créé une maquette où lorsque le joueur atteignait les deux-tiers de l’écran environ, celui-ci se décalerait vers le bas de telle sorte à ce que le joueur apparaisse à nouveau en bas, » confie-t-il. « M. Miyamoto a réfléchi et m’a dit, « peut-être que nous devrions changer la formule, » il m’a conseillé d’ajouter un scrolling horizontal classique et de « faire quelque chose qui ressemble un peu à Mario. Tant que c’est amusant, ça me va, » se souvient-il. Tanabe multiplie les entrevues avec Fuji TV, qui lui présente les personnages de son événement Yume Kōjō. Il en imagine une histoire aux airs de conte des mille et une nuits, où l’intrigue s’établit directement à l’intérieur d’un livre. Celui-ci nous plonge sur l’ile de Mu, où la qualité des rêves dicte la météo du lendemain. Pour s’assurer des jours parfaits, les habitants inventent une « machine à rêves » qui ne produit que des rêves heureux. Un méchant crapaud envahit cette contrée et inverse les propriétés de la machine pour ne créer que des cauchemars – les habitants découvrent toutefois son point faible, les légumes. Le livre tombe entre les mains de deux jumeaux malicieux qui se chamaillent jusqu’à arracher sa dernière page : la fin est ainsi effacée et le crapaud, libéré, entraîne les deux bambins dans le livre. Imajin, sa sœur et les deux parents accourent et plongent dans le livre à leur tour pour les libérer.
Tapis volants, jarres magiques, sables mouvants ou déserts avec des cactus pour seule végétation : l’univers visuel puise abondamment dans l’atmosphère persane des héros, tout en empruntant à Mario Bros. et Super Mario Bros. leurs codes les plus élémentaires comme les sauts répétés, les blocs POW, les warp zones ou les plantes grimpantes. Baptisé Yume Kōjō: Doki Doki Panic, le projet gagne donc en ampleur et constitue une parfaite réinterprétation des premiers épisodes conçus par Miyamoto, sous l’œil neuf de jeunes artistes. Né le 13 mai 1965 à Chiba, Hideki Konno symbolise cette nouvelle génération : il entre en même temps que Tanabe chez Nintendo, dont il a d’emblée adoré les jeux vidéo, alors qu’il n’a que vingt ans. Diplômé en traitement électronique, il a une vision tout autant technique qu’artistique des jeux vidéo. Sur Doki Doki Panic, il est assistant réalisateur mais il évoluera rapidement au sein de la firme de Kyoto, où il est toujours présent après avoir développé des niveaux de Super Mario World (1990), réalisé Super Mario Kart (1992) ou Yoshi’s Island (1995) et produit Mario Kart 8 (2014) entre autres.
Le développement du jeu s’étend sur huit mois environ et Yume Kōjō: Doki Doki Panic sort le 10 juillet 1987 sur Famicom Disk System, pile à temps pour soutenir l’événement de Fuji TV. Avec son humour si particulier, sa grande accessibilité et ses nombreux mécanismes, il plait tout de suite à un très large public. L’expérience est aussi riche en enseignements : le système des légumes à extraire du sol avant de les balancer sur les ennemis, par exemple, permet à l’équipe de tester un principe qui sera également décliné à Super Mario Bros 3.. Lorsque le jeu est présenté aux États-Unis à Howard Phillips, il y voit le parfait candidat pour les nouvelles aventures de Mario. L’équipe de Tanabe se remet à plancher sur sa copie et troque ainsi Imajin, sa sœur et les deux parents contre Mario, Luigi, Toad et la Princesse Peach. D’autres éléments signent leur apparition, comme les champignons capables de faire grandir les personnages. Mais rebadger le jeu n’est pas sans difficulté pour autant. « Lorsque les héros rétrécissaient, il leur devenait plus facile de se faufiler dans les parties des niveaux où ils n’étaient pas supposés s’aventurer, nous avons donc agrandi leur tête pour qu’ils restent coincés, » explique Tanabe. Yoichi Kotabe, le vénérable illustrateur de la Toei Animation, Takashi Tezuka, Toshihiko Nakago et Koji Kondo sont appelés en renfort pour « emballer » le titre et s’assurer de sa légitimité face à l’univers de Mario. Il n’est bien sûr pas possible de tout remplacer et c’est pour cette raison que de nombreux aspects en font un épisode hors-série, avec des ennemis ou des mécanismes que le plombier ne connaîtra plus jamais.
Yume Kōjō: Doki Doki Panic devient ainsi Super Mario Bros. 2 aux États-Unis et en Europe, puis finalement Super Mario Bros. USA le 14 septembre 1992 au Japon. Phénomène intéressant, il sort en Amérique du Nord le 1er septembre 1988 soit près de deux mois avant Super Mario Bros. 3 au Japon. C’est pour cette raison que l’on retrouve en particulier le même sprite de la Princesse Peach dans les deux jeux. Il faudra attendre le 14 juillet 1993 pour voir l’ensemble de ces embranchements réunis sur une seule et même cartouche, celle de Super Mario All-Stars sur Super Nintendo, qui combine Super Mario Bros., Super Mario Bros.: The Lost Levels, Super Mario Bros. 2 et Super Mario Bros. 3. Quant à Kensuke Tanabe, il réussit haut la main son premier pari et évolue toujours chez Nintendo, après avoir créé des niveaux de Super Mario Bros. 3, co-écrit le scénario des épisodes les plus prestigieux de Zelda et produit d’innombrables titres sur toutes les machines de l’éditeur.
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