Insufflant de la vie à des univers palpitants, gorgés de légendes et d’histoires, et faisant battre le cœur numérique de personnages mythiques, les créateurs de jeux vidéo ont tout de demi-dieux. Non contents de tirer les ficelles d’un genre reconnu comme un art à part entière en 2006 par le Ministère de la Culture, ces démiurges sont partageurs et nous convient bien souvent à leurs délires de grandeurs en nous mettant dans la peau de dieux à notre tour. Revue de détails des principaux titres du genre.
Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que les premiers bâtisseurs de mondes virtuels assument pleinement leur attirance pour le divin et le fabuleux. Alors que le jeu vidéo reste un loisir confidentiel aux mains d’une poignée d’adolescents et de programmeurs informatiques, l’un de ses premiers titres phares annonce clairement la couleur : Gods, publié par The Bitmap Brothers en 1991 sur Amiga et Atari ST, résonne comme l’une des premières expériences où le joueur tutoie les grands mythes divins. Le joueur y incarne Hercules dans sa quête de l’immortalité ; entre deux combats pixellisés, il y tutoiera les grands dieux de l’Olympe jusqu’à s’immiscer dans leurs rangs. Malgré son univers criard et la faible diversité des défis proposés, Gods reste aujourd’hui encore une référence dans le cœur des joueurs, en particulier parce qu’il a été créé par trois développeurs de génie (les anglais Mike Montgomery, Eric Matthews et Steve Kelly) qui s’illustreront à maintes reprises dans l’industrie. Mais en parallèle, de nombreux studios les imitent. C’est à la même période que sort Doom et ses premiers clones (id Software, 1991), dans lesquels les joueurs pianotent frénétiquement « godmode » sur leur clavier dans les passages périlleux afin de ne plus craindre les projectiles enflammés de monstres à l’épaisse cuirasse. Le rapprochement entre Dieu et les jeux vidéo bat alors son plein !
Peter Molyneux et sa quête du pouvoir divin
Né en 1959 en Angleterre, Peter Molyneux est l’un des plus grands visionnaires de l’industrie du jeu vidéo. Alors qu’il n’a que vingt-trois ans, ce programmeur pressent tout l’attrait de ces modestes titres où l’on fait évoluer quelques pixels de couleurs sous des bip-bip stridents. Pour assurer le succès de ses deux machines fétiches, le Commodore 64 et l’Atari ST, il commence à distribuer des disquettes contenant une sélection de ses jeux préférés. Le succès ne se fait pas attendre et il décide de développer à son tour des titres originaux. Mais son flegme britannique et la patience légendaire dont il fait encore preuve aujourd’hui le gagnent déjà ; il ne s’intéressera pas aux univers violents bordés de sang et son premier jeu est une simple simulation de gestion économique, en mode texte. Elle pose toutefois les bases de la création de mondes persistants, que les joueurs façonnent à leur guise. Son premier fantasme vidéoludique prend la forme de Populous (Bullfrog, 1989), un jeu fantastique dans lequel le joueur bâtit son propre univers avant d’assujettir des hordes d’humains et d’étancher sa soif de pouvoir ; en concurrence avec d’autres dieux, c’est à celui qui ralliera le plus de disciples. Le jeu est un immense succès et s’impose comme un nouveau genre à part entière, les « God-Games », dans lesquels les joueurs s’immiscent dans la peau de créateurs divins.
Il donnera de nombreuses suites à cette première expérience, la poussant à son paroxysme avec la série des Black & White qu’il développe dans sa propre agence, Lionhead Studios, en 2001. Outre des graphismes améliorés, cette nouvelle saga s’illustre par la possibilité de manipuler des « idoles » : d’immenses créatures assurent le relais du « Dieu » sur Terre et se font adorer par des cohortes de fidèles. Aujourd’hui encore reconnu comme l’un des plus fabuleux créateurs d’univers virtuels, Peter Molyneux a entraîné dans son sillon de nombreux développeurs de talent qui ont contribué à populariser ce genre. On peut citer en particulier Sid Meier et sa saga des Civilization ou … Will Wright à l’origine de la société Maxis.
Will Wright et la saga des Sims
À des milliers de kilomètres de distance, dans la banlieue d’Atlanta, le jeune Will Wright nourrit un rêve similaire. Et si les jeux vidéo permettaient à chacun de façonner des univers nouveaux, réellement adaptés à ses envies et ses rêves ? En 1984, il réunit ses économies et monte la société Maxis. Son premier titre, Sim City, connaît un immense succès planétaire. Il met le joueur dans la peau d’un maire qui administre sa cité comme bon lui semble. Aménagement de l’espace urbain, application d’un budget et investissements : si le cadre de Sim City est moins onirique que celui de Populous, le jeu s’inscrit toutefois pleinement dans le genre naissant des « God-Games », où le joueur peut littéralement décider du sort de ses condisciples de pixels. La saga connaîtra de nombreuses déclinaisons, en particulier SimEarth (Maxis, 1990) dans lequel le joueur contrôle le développement d’une nouvelle planète.
Il faudra attendre dix ans pour découvrir une nouvelle facette de son rêve, s’inscrivant toujours dans la quête perpétuelle de pouvoirs divins : la saga des Sims débute en janvier 2000 sur PC. Le joueur n’y supervise plus seulement ses administrés ; en véritable dieu, il donne vie et participe au développement personnel de centaines de personnages qu’il façonne à son image. Dix ans plus tard, la saga est toujours en tête des ventes, confirmant au passage le succès de ce genre de jeu et l’envie des joueurs de s’imprégner de pouvoirs divins.
Les casual-games et la création d’univers parallèles
Des dernières consoles de jeux vidéo de salon à l’iPhone en passant par le PC, le succès planétaire des Sims s’accompagne d’un nombre de plates-formes grandissant. On joue désormais comme on aime, aussi bien sur les consoles portables de Nintendo que dans le cadre étriqué de son téléphone portable, entre deux stations de métro. Ces nouvelles plates-formes ont conduit les éditeurs à réfléchir à d’autres types de jeux, plus succincts et capables de se découper en de micro-parties. Les casual-games désignent ces « jeux de tous les jours » ; incroyablement populaires sur Nintendo DS, ils font le bonheur des familles qui y voient le parfait cadre pour limiter la consommation frénétique de leurs chères têtes blondes, tout en navrant les vieux de la vieille qui n’avaient pas envisagé une telle évolution des jeux vidéo. Les « God-Games » y ont plus que jamais leur place, relayés par nos connexions Internet qui font persister leur cadre de pixels. À ce titre, la France est l’un des fers de lance de ce type d’univers. Lancé en partenariat avec Canal +, Le Deuxième Monde (Cryo Interactive, 1997) est un titre qui paraît incroyablement avant-gardiste jusque dans son patronyme, directement repris par Second Life (Linden Labs, 2003) et son « métavers » peuplé d’avatars. Le joueur y choisit sa représentation et agit directement sur l’univers virtuel dans lequel il évolue.
Offrant à leurs adeptes des pouvoirs divins et cherchant à reproduire le plus possible la réalité, les jeux vidéo n’ont donc cessé de nous faire revisiter les grands préceptes à l’origine de toutes les religions. Et si le genre lui-même était en passe de devenir une religion, à en juger par son succès massif et ses cohortes d’adeptes, prêts à camper devant les revendeurs spécialisés le jour de la sortie d’un gros titre ?
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