Double Dragon II: The Revenge

De la castagne pure et dure, des armes disséminées ça et là dans des ruelles aux mains de gangs de voyous et surtout ce fichu scrolling qui ne veut pas progresser tant que vous n’avez pas vidé l’écran de hordes d’ennemis : le genre du beat-em-all gagne ses lettres de noblesse avec le titre culte de Technos Japan, développé par trois amis issus de l’éditeur Data East.

02-double_dragon2« La revanche ». Il faut croire que les développeurs de Double Dragon II: The Revenge sont allés jusqu’à exprimer dans le titre de leur superproduction de l’époque toute la rage qu’ils ressentaient face à l’industrie du jeu vidéo et à ses acteurs d’alors. Paru en Europe en 1990, soit avant l’adaptation du premier épisode sur NES, il faut dire que les raisons d’un tel titre n’apparaissent pas clairement à quiconque méconnait la série, tant la narration reste avare en détails et cède essentiellement la place à une action menée tambour battant, où l’on casse des nez et donne des coups de genoux à tous les poltrons venus nous barrer la route. Il s’agit aussi de l’un des premiers beat-em-all de l’histoire, en tout cas le plus marquant dans notre contrée. On y incarne Billy et Jimmy Lee (la parenté avec la fameuse lignée de karatekas et maîtres du kung-fu n’est pas fortuite) à la poursuite du gang des Black Warriors, des guerriers sans foi ni loi dans un New York post-apocalyptique. Après avoir été déjà défaits dans ce premier épisode totalement passé inaperçu dans nos contrées, les bandits commettent l’irréparable : ils tuent de sang-froid Marian, la petite amie du héros. Il n’en fallait pas plus pour lancer une vendetta contre la horde d’ennemis à la gémellité déroutante, jusqu’à traquer leur leader dans sa tanière.

Le DECO Cassette System de Data East Corporation

Le DECO Cassette System de Data East Corporation

Le 20 avril 1976, Tetsuo Fukuda fonde la firme Data East Corporation à Tokyo. À ses débuts, elle se spécialise dans l’électronique des bornes d’arcade qui commencent à gagner considérablement en popularité dans l’archipel japonais et à travers le monde. Parmi ses premiers produits, la société développe en décembre 1980 un système de cartouches interchangeables, très pratique pour les gérants de salles d’arcade, qui leur permet de changer le jeu sans pour autant remplacer la borne elle-même. Il s’agit du DECO Cassette System, un concept révolutionnaire à l’époque mais qui connait quelques déboires techniques, les cassettes ayant tendance à se démagnétiser assez rapidement. Une seconde version verra rapidement le jour, le Multi Conversion Kit, et viendra corriger partiellement ces premiers défauts. Il n’en fallait toutefois pas plus pour lancer la carrière de la société, qui développe en parallèle ses tous premiers jeux. Long story short : Data East est un acteur qui a considérablement compté dans l’histoire du jeu vidéo et on lui doit plus de cent titres sur toutes les plates-formes, dont Boulder Dash (1985), Karate Champ (1986), Windjammers (1994) ou Magical Drop (1995).

La fondation de Technos Japan

Yoshihisa Kishimoto

Yoshihisa Kishimoto

L’effectif a beau être encore réduit en 1981, Data East, tiraillé entre ce marché du hardware et du software, connait sa première défection de développeurs. Exclusivement intéressés par cette discipline, Noriyuki Tomiyama, Yoshihisa Kishimoto et Kunio Taki quittent la société pour fonder Technos Japan à Tokyo. Ils entretiennent toutefois de bons rapports avec leur ancien employeur, qui va publier ou distribuer la plupart de leurs créations. Ils s’entassent tous les trois dans un minuscule appartement d’une seule pièce et y développent, jour et nuit, les idées qui leur étaient venues à l’esprit durant leurs jeunes années chez Data East. Après un premier titre plutôt anecdotique, ils développent Nekketsu Kōha Kunio-kun (littéralement, « le costaud Kunio au sang chaud », oui, d’après le nom de l’un de leurs trois co-fondateurs), l’un des premiers beat-em-all de l’histoire. Il s’agit en fait d’une véritable série qui connaîtra plus de vingt épisodes au Japon et remportera un immense succès. L’un des épisodes les plus fameux verra d’ailleurs le jour sur NES aux États-Unis et en Europe sous le nom de Renegade. Pour la première fois, le héros peut se déplacer dans les quatre directions et donner des coups de poing ou des coups de pied à une nuée d’ennemis qui surgissent des coins de l’écran. Ceux-ci peuvent d’ailleurs recevoir plusieurs trempes avant de se relever, et de poursuivre l’assaut.

Nekketsu Kōha Kunio-kun

Nekketsu Kōha Kunio-kun

Avec leur look de « furyo », ces jeunes japonais souvent désœuvrés et rebelles, les personnages de la série des Kunio-Kun se déclineront à de multiples genres. On compte notamment Nintendo World Cup, sorti le 27 juin 1991 en Europe, l’une des simulations de football les plus loufoques et fun de l’histoire. Ce sera aussi le cas de Super Dodge Ball, un jeu de balle aux prisonniers sorti au Japon sur Famicom en juillet 1988 et tournant autour des mêmes personnages. River City Ransom emprunte également le même character design (il s’intercale en réalité entre Renegade et Super Dodge Ball) et revient au genre du beat-em-all, avec quelques éléments de jeu de rôle : on collecte notamment de l’argent sur le corps des ennemis, afin de lire des ouvrages dans les boutiques pour perfectionner ses techniques de combat ou de s’offrir des séances de spa qui améliorent durablement la capacité des poings et des pieds.

« Quand j’étais adolescent, j’étais un vrai délinquant. Ça m’a beaucoup inspiré pour mes jeux, on peut donc dire qu’ils sont autobiographiques. Quand j’étais en dernière année à l’école primaire, il a été diffusé « Opération Dragon » au cinéma, et ça a complètement changé ma vie, puisqu’à cause de ce film j’ai pris le côté sombre de la vie. Quand je suis devenu adolescent, j’ai voulu devenir metteur en scène pour le cinéma d’action avant de faire du jeu vidéo. »
Yoshihisa Kishimoto, interview 14 juillet 2012 à la Japan Expo

Nintendo World Cup et Super Dodge Ball

Nintendo World Cup et Super Dodge Ball

Double Dragon

Double Dragon

Plus sérieux et sombre, Double Dragon est l’héritier spirituel du premier Kunio-Kun et en reprend de nombreuses caractéristiques, comme le déplacement libre à l’écran ou la manière de combattre les ennemis. En revanche, il introduit pour la première fois la possibilité de jouer à deux joueurs simultanément et de récupérer des armes dans les décors ou des propres mains des adversaires. Le jeu sort en juillet 1987 et il est directement conçu et développé par Yoshihisa Kishimoto, l’un des trois co-fondateurs de Technos Japan. Dans la version d’origine en arcade, le joueur peut ainsi incarner l’un des deux frères jumeaux Billy ou Jimmy Lee (ou les deux à la fois) et il doit combattre le gang des Black Warriors. La version NES, plus limitée techniquement et qui ne verra donc le jour qu’après le second épisode en Europe, n’autorise pas à deux joueurs d’évoluer simultanément en mode coopératif. Le héros reste donc Billy Lee, tandis que le chef des Black Warriors est Jimmy Lee. On n’est pas à une réécriture près de l’histoire, tant que la castagne reste le maître-mot.

Coups de genou et sauts millimétrés

Double Dragon II: The Revenge

Double Dragon II: The Revenge

Double Dragon est un immense succès sur chacune des plates-formes où il est adapté. L’équipe se remet rapidement à l’ouvrage et sort l’année suivante, en 1988, son digne successeur : sur borne d’arcade, Double Dragon II: The Revenge est avant tout une « mise à jour » et reprend le mode coopératif, tout en introduisant quelques attaques supplémentaires. En particulier, les deux boutons de frappe s’alternent en fonction de la position du joueur ; si l’on fait face à un adversaire, le bouton dans sa direction immédiate sera toujours celui des poings et l’autre enverra des coups de pied dans l’autre sens. Les adversaires gagnent également de nouvelles armes, comme les grenades explosives.

Double Dragon II: The Revenge

Double Dragon II: The Revenge

Mais la version NES, développée en interne chez Technos Japan et sortie le 23 décembre 1989 au Japon, reste l’édition la plus célèbre à travers le monde de ce titre et marque une véritable évolution par rapport au premier épisode. Il est désormais possible de jouer en mode coopératif, comme sur arcade, contrairement à l’adaptation du premier volet. Chaque « mission » se voit précédée d’une scène cinématique qui introduit l’action et le jeu compte désormais neuf niveaux, contre quatre en arcade. On retrouve également un dernier boss supplémentaire, dans le mode de difficulté le plus élevé – en l’éliminant, Marian ressuscite, un happy ending davantage en adéquation avec la politique de Nintendo.

Yoshihisa Kishimoto et Florent Gorges, l'auteur de sa biographie parue chez Pix'n Love en 2012

Yoshihisa Kishimoto et Florent Gorges, l’auteur de sa biographie parue chez Pix’n Love en 2012

Du point de vue du gameplay, le jeu a nécessairement été remanié pour se plier aux deux boutons de la manette de la NES. Il faut ainsi les presser simultanément pour esquisser un saut, ce qui sera d’une redoutable difficulté dans les niveaux avec des tapis roulants, celui de la « maison de la terreur » avec des plates-formes qui disparaissent ou les rouages de la mission 7. Combien de joueurs, après avoir combattu des centaines d’ennemis, ont-ils voulu s’en prendre à leur console en perdant leur sang-froid ? Dans la panoplie des coups de Billy et Jimmy, on retrouve désormais la possibilité d’exécuter des coups de genou sautés ravageurs, mais pour les passer correctement il faut presser le bouton au moment exact où le joueur se relève, ce qui reste là aussi une vraie gageure. Le jeu introduit par ailleurs un « mode B » dans lequel les deux héros peuvent se frapper. Si l’un d’entre eux vient à battre l’autre, il gagne la vie qu’il lui fait perdre – une astuce pour commencer ainsi la partie avec sept vies, ce qui n’est pas du luxe tant les chutes sont fréquentes et immédiatement pénalisées. Kazuhiro Hara a composé la bande-son du jeu, qui participera plus tard à la bande-son de Final Fantasy X-2 (2003) et qui collaborera notamment avec Rivers Cuomo sur l’écriture d’un morceau pour l’album Raditude de Weezer.

Article rédigé par

Journaliste dans la presse spécialisée en informatique et jeux vidéo depuis 1991, j'ai une passion pour la moutarde forte, les ornithorynques et l'orthographe du mot "bathyscaphe". Retrouvez mes travaux en ligne.

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