Excitebike

Figurant dans le line-up d’origine des jeux NES aux États-Unis et en Europe, respectivement le 18 octobre 1985 et le 1er septembre 1986, Excitebike est probablement l’un des titres les plus ambitieux de l’époque. Vous y chevauchez une moto et affrontez des adversaires contrôlés par la machine, mais vous profitez aussi de l’un des tous premiers éditeurs de niveaux sur console. Dans une version ultérieure, sortie exclusivement au Japon, tous les héros de Nintendo remplacent les motards dans ce qui laisse préfigurer Mario Kart.

02-excitebikeÀ bien des égards, Excitebike résume à lui seul les ambitions de Nintendo au lancement de sa NES : proposer une expérience de jeu immersive, offrir de vraies sensations que les joueurs réinterprètent et s’approprient selon leurs propres rêves et délivrer un matériau riche que l’on adapte à loisir, à l’image des jouets qu’il commercialisait dans les années 70 et que les enfants se prêtaient à défaire et à refaire, une activité que Shigeru Miyamoto lui-même pratiquait dans son village de Sonobe. À regarder de près le premier line-up des jeux Famicom, ces boîtes sur fond noir, l’éditeur de Kyoto a exploré toutes les disciplines sportives de l’époque : le baseball, le football, le tennis, le golf, le kung-fu… Il n’est donc pas étonnant qu’il se soit également frotté aux sports mécaniques, un type de jeu évidemment populaire à l’époque sur micro-ordinateur, mais étonnamment ambitieux pour une petite console huit bits censée s’adresser aux jeunes enfants.

Chutes, hausse de la température du moteur, obstacle... Tous les éléments sont déjà là

Chutes, hausse de la température du moteur, obstacle… Tous les éléments sont déjà là

Directement conçu par Shigeru Miyamoto, le jeu vous met sur la selle d’une moto rouge flamboyant. Cinq circuits vous attendent, que vous pratiquez en solo dans le but d’établir le meilleur temps, ou dans un second mode face à de multiples concurrents gérés par la machine – même si trois autres adversaires semblent prendre le départ en même temps que vous, vous rencontrez en réalité bien d’autres motards au fil des courses. Au terme d’un circuit préliminaire, vous rejoignez alors le championnat final (Excitebike) si vous terminez au moins à la troisième place. Que ce soit sur les gradins ou sur un indicateur en bas de l’écran, vous découvrez le meilleur temps et celui que vous ne devez absolument pas dépasser.

Une-roue et flèche pour refroidir le moteur : les commandes sont étonnamment larges

Une-roue et flèche pour refroidir le moteur : les commandes sont étonnamment larges

Mais l’ambition du jeu ne s’arrête pas là. Les circuits sont jonchés d’obstacles, de monticules, de broussailles, de descentes vertigineuses et de précipices qu’il faut éviter. Bien entendu, avec le regard de 2016 de tels défis peuvent prêter à sourire, mais le rendu à l’écran est fantastique pour l’époque, avec une vraie sensation de profondeur, des ombres et une sensation d’accélération. Avec la croix directionnelle, vous changez de voie, vous jouez des coudes avec les autres adversaires, vous faites du une-roue ou vous amortissez une chute. Si vous accélérez trop, le moteur entre en surchauffe et la moto s’arrête sur le bas-côté ; en passant sur des flèches marquées au sol, vous le refroidissez très largement, ce qui laisse préfigurer les bonus à ne pas rater dans F-Zero ou Mario Kart.

Vous profitez de l'un des premiers éditeurs de niveaux sur console

Vous profitez de l’un des premiers éditeurs de niveaux sur console

Mieux encore, un troisième mode vous accorde toute liberté pour composer votre propre parcours et profiter de la bibliothèque de sprites pour juxtaposer les obstacles et les embûches de votre choix. Le système est évidemment rudimentaire : votre pilote avance au gré de vos pressions sur un bouton afin de choisir un emplacement et vous sélectionnez un élément à ajouter, représenté par les lettres A à S … sans pour autant vous préfigurer des changements ainsi apportés. Mais la magie opère déjà et vous jouez ainsi à vos propres créations, seul ou face aux « ordinateurs », à la manière d’un circuit de train que vous recomposiez enfant, en faisant fi des règles élémentaires de la logique et du bon sens. À noter, dans toutes les versions occidentales du jeu, on retrouve des options Save et Load dans le menu. Elles sont évidemment sans impact, le manuel précise bien qu’elles concernent « de futurs développements ».

Le Famicom Data Recorder

Le Famicom Data Recorder

En réalité, ces deux options visent directement un périphérique sorti exclusivement au Japon, le Famicom Data Recorder, un outil de sauvegarde sur cassette magnétique classique. Développé par Matsushita/Panasonic pour Nintendo, l’unité a vu le jour le 21 juin 1984 et s’accompagne du Family BASIC Keyboard, un clavier associé à une cartouche qui avait l’ambition d’initier le public aux fondements du langage de programmation BASIC. Ce dernier était conçu en collaboration avec Hudson Soft et Sharp et on profitait notamment d’une bibliothèque d’éléments issus de Donkey Kong avec des sprites et des arrière-plans prêts à l’emploi pour créer ses propres jeux. Prenant l’apparence d’un pur magnétophone à cassette, le Famicom Data Recorder utilisait quatre piles AA et pouvait tout à fait servir à enregistrer du son, à travers un microphone intégré, ou à jouer de la musique sur son haut-parleur mono. Sur le côté gauche, on retrouve une sortie casque, et sur la droite une entrée microphone – c’est sur ce port que l’on branche le Family BASIC keyboard. Le principe sera finalement remplacé par le Famicom Disk System, une solution de sauvegarde sur disquette qui ne sortira pas non plus de l’archipel nippon et que nous avons notamment évoqué à propos de Castlevania.

Le Family BASIC Keyboard

Le Family BASIC Keyboard

À noter, Excitebike: Bun Bun Mario Battle Stadium est une version revue et corrigée du jeu, sortie exclusivement sur Satellaview (1995). Il s’agit d’une extension pour la Super Famicom, uniquement réservée au marché japonais, qui étend les capacités techniques de la console et présente l’originalité d’introduire un système de téléchargement de jeux via une station de radio par satellite, St. GIGA. Dans cette édition, les motards anonymes sont remplacés par Mario, Luigi, la princesse Peach, Wario, Toad et les Koopa Troopas. Mario Kart était déjà sorti en 1992 sur Super Nintendo, on ne peut donc pas prétendre que le jeu ait inspiré cette série à succès, mais il est amusant de constater qu’Excitebike fait un grand écart explicite entre les origines de la Famicom et celles du fameux jeu de kart.

La fondation du centre R&D4

Toshihiko Nakago

Toshihiko Nakago

Si Shigeru Miyamoto a directement conçu le principe du jeu, c’est Toshihiko Nakago qui s’est occupé de sa programmation. Né en 1957, Nakago figurait comme Satoru Iwata parmi les rares développeurs à connaître le processeur 6502 de Ricoh au début des années 80. Pour cette raison précise, il rencontre en 1982 Hiroshi Umemiya, l’un des bras droits de Masayuki Uemura, le responsable du centre R&D2. Il est ainsi embauché chez Nintendo et travaille aux côtés de Shigeru Miyamoto au sein du centre R&D4 fraîchement créé à la suite du succès de Donkey Kong et qu’il préside. Excitebike est à ce titre son tout premier jeu. Il sera ensuite impliqué dans la plupart des immenses succès de Nintendo, notamment les versions Famicom/NES des succès d’arcade conçus par R&D1 (Donkey Kong, Donkey Kong Jr.…), mais aussi Ice Climber (1985), Super Mario Bros. (1985), The Legend of Zelda (1986), Zelda II: The Adventure of Link (1987), Super Mario Bros. 3 (1988), Super Mario World (1990, dont il occupe le poste de responsable du développement), The Legend of Zelda: A Link to the Past (1991) jusqu’à Wii Fit (2007) ou New Super Mario Bros. U (2012).

Minoru Maeda

Minoru Maeda

Toujours pour Excitebike, les éléments graphiques ont été conçus par Minoru Maeda et Takashi Tezuka. Né le 24 mars 1954, Minoru Maeda est avant tout un illustrateur de manga et il a travaillé pour la Toei Animation dès la fin des années 60. Il a notamment été le responsable de l’animation des dessins animés Dr. Slump et Dragon Ball signés Akira Toriyama. Très intéressé par son travail et son talent d’animateur, Shigeru Miyamoto l’a recruté pour réaliser le design et l’animation des personnages. Il faut dire que la gestion du studio R&D4, créé par Hiroshi Yamauchi à la suite du grand succès de Donkey Kong et de la révélation du talent de Shigeru Miyamoto, avait été confiée à Hiroshi Ikeda, l’ancien président de Toei Animation – le contact et la parenté avec le studio d’animation étaient donc établis. Au lancement du département, Ikeda en était le General Manager et Shigeru Miyamoto le producteur en chef.

Takashi Tezuka et Shigeru Miyamoto

Takashi Tezuka et Shigeru Miyamoto

Takashi Tezuka, le second artiste à œuvrer au sein du département, a lui aussi une histoire intimement liée à celle de Nintendo. Né le 17 novembre 1960, il est sorti diplômé de l’Université des arts d’Osaka. Il a rejoint Nintendo en avril 1984 sans rien connaître des jeux vidéo en tant qu’animateur puis que game designer et l’un de ses premiers travaux fut précisément Excitebike aux côtés de Miyamoto, Maeda et Nakago. À l’instar du reste de l’équipe, il a également participé à tous les grands succès qui ont suivi, à savoir la quasi-totalité des épisodes de Super Mario et de Zelda pour lesquels il fut successivement directeur assistant, directeur principal puis producteur. Nous aurons largement l’occasion de revenir sur sa carrière passionnante, mais retenez qu’il forme avec Shigeru Miyamoto un véritable duo créatif inséparable, responsable de nombreux titres cultes du panthéon vidéoludique.

« Lorsque je fais passer un entretien, c’est simple : je donne 30 minutes au candidat pour dessiner un petit manga en quatre cases. La plupart des candidats sont assez scolaires dans leur démarche : ils font un démarrage, développement, surprise et enfin la chute. Mais Takashi Tezuka a juste fait un manga avec un bonhomme dont la barbe pousse… Il ne se passait rien dans cette BD. Je fus intrigué par cette BD et Takashi Tezuka me répondit : « Ce qui est drôle, c’est justement qu’il ne se passe rien ! ». Je l’ai alors embauché. »
Shigeru Miyamoto, Masterclass à la Japan Expo, 2015

Koji Kondo

Koji Kondo

Pour la partie audio d’Excitebike, la tâche est confiée à Koji Kondo. Né le 13 août 1961 à Nagoya, il s’est passionné dès l’âge de cinq ans pour le piano électronique. Il a suivi lui aussi les cours de l’Université des arts d’Osaka, comme Takashi Tezuka, sans pour autant disposer d’un enseignement classique de la musique. En 1984, Nintendo puisait massivement dans cette université pour recruter de nouveaux talents : il fut rapidement engagé, suite à sa véritable passion pour les jeux vidéo. Il a d’abord œuvré dans la création de multiples bruitages pour les productions de l’époque, comme Punch-Out!!, avant de composer la bande-son si célèbre de Super Mario Bros. et The Legend of Zelda. Pendant ses jeunes années au sein de R&D4, il fut directement pris en charge par Hirokazu Tanaka, dont nous avons déjà évoqué le travail à propos de Dr. Mario.

Au-delà de son gameplay original et de ses grandes ambitions, Excitebike fut donc l’un des actes inauguraux de la nouvelle équipe de R&D4. Les rôles étaient clairement attribués : Shigeru Miyamoto en tant que tête pensante et directeur créatif, Toshihiko Nakago à la programmation, Takasahi Tezuka et Minoru Maeda au design et Hirokazu Tanaka et Koji Kondo aux effets sonores et à la bande-son. Le monde était prêt à découvrir leurs merveilles.

Article rédigé par

Journaliste dans la presse spécialisée en informatique et jeux vidéo depuis 1991, j'ai une passion pour la moutarde forte, les ornithorynques et l'orthographe du mot "bathyscaphe". Retrouvez mes travaux en ligne.

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